L'éditorial de Jean Pellegrino [Actualité économique et du crédit du 1 octobre au 31 décembre 2007] - ARC®

Subprime, boire la coupe jusqu'à la lie !

Une publicité récente, vantant les qualités du café expresso proposé par une grande marque de l'industrie agro-alimentaire helvétique, met en scène l'acteur américain tant aimé de ces dames, le célébrissime Georges Clooney. Celui-ci ponctue sa participation d'un haussement de sourcil ravageur sur les décolletés avantageux de deux superbes créatures de la gent féminine, lequel relèvement de sourcil est lui-même augmenté du désormais incontournable "What else ?" que l'on peut entendre de la bouche de tout charmeur en herbe qui se respecte.

C'est à peu près ce qu'il a été permis de lire, à un tout autre sujet, dans les colonnes de la presse économique au cours du dernier trimestre 2007... "Quoi d'autre", après la chute vertigineuse dans l'échelle sociale de nombre de ménages américains surendettés et surtout "mal endettés" ? "Quoi d'autre", après que cette chute eut failli entraîner presque toutes les banques du monde, à court de fonds propres, dans le tourbillon assassin d'un "crédit crunch" évité de justesse par des banques centrales dont on ne dira jamais assez qu'elles ont, une fois encore, sauvé la planète de conséquences catastrophiques sur le plan humain, d'une des plus importantes crises de liquidités de son histoire ? Enfin, "quoi d'autre" au sujet de l'exposition au risque d'établissements bancaires pourtant de premier plan mais soumis à un système de titrisation empêchant toute évaluation valable ? Les récents déboires de la Société Générale, que nous aborderons en avril prochain, sont certainement une illustration de cette relative cécité dont sont frappés organes de contrôle internes et agences de notation.

Ce sujet mérite bien un traitement à part, tant il impacte l'ensemble la distribution du crédit, en France et partout dans le monde : après une large ouverture au crédit, à des taux peu élevés, les banques américaines disposaient, depuis quelques années, de si peu de marges qu'elles se tournèrent vers des prêts à des particuliers "à risque", mieux rémunérés (les fameux subprime). Pour assurer malgré tout le plus de liquidités possible à leurs créances, les banques disposent d'un outil particulièrement pratique, la titrisation, dont la pire des caractéristiques est de noyer le "mauvais risque" dans le "bon" (et d'empêcher, par la même occasion, l'appréciation de ce risque, tant par les agences de notation chargées de l'évaluer, que par les acheteurs de ces titres d'un nouveau genre : les banques elles-mêmes). Aux premières défaillances (conséquence, entre autres causes, d'une remontée des taux courts associée aux mécanismes de ces prêts qui prévoyaient une croissance exponentielle de la charge de remboursement pour des ménages pourtant fragiles), le système se fissura : les premiers impayés pointèrent, suivis des premières saisies immobilières, prémices d'une crise de confiance qui s'étendit aux banques, hors des frontières même des états-Unis.

Sans l'intervention des banques centrales pour se substituer aux banques privées (lesquelles, de toute façon, ne disposaient plus guère de la solvabilité nécessaire), le château de cartes se serait effondré, engendrant un risque majeur de propagation à l'économie mondiale (crédit crunch des économies états-unienne et européenne). Pour l'heure, les observateurs et commentateurs (déjà fort nombreux à alerter la communauté, depuis quelques mois, sur les risques de ces marchés de subprime et sur leur manque de lisibilité), ne peuvent que souligner les conséquences à venir, à condition que les agents des marchés, banques centrales incluses, poursuivent leur œuvre de régulation :

Réglementation, encadrement et transparence
il s'agit véritablement d'un désir général émanant tant du consommateur que des banques et des autorités de régulation. La FED choisit ainsi de contraindre les prêteurs à fonder leurs engagements sur d'autres critères que la valeur du bien financé (revenus de l'emprunteur, autres actifs, etc). La Commission Européenne s'est, elle, engagée sur un chemin voisin en mettant l'accent sur la protection du consommateur par un encadrement plus rigoureux du crédit hypothécaire et une évaluation plus sûre de la solvabilité de l'emprunteur. La transparence qui devrait logiquement découler de ces mesures, devrait également toucher les agences de notation, auxquelles il sera certainement demandé davantage de contrôle. Enfin, les hedge funds, par ailleurs peu concernés par la crise des subprime, ont édicté un code afin d'anticiper un durcissement annoncé de la réglementation en matière de transparence des engagements comme des investissements.
Ralentissement du volume des crédits
sans même préjuger de la réaction du marché hypothécaire ni de la demande de crédits à la consommation, nombre de prêteurs, comme la HSBC qui annonce un revirement de sa stratégie de conquête du marché du crédit US au particulier, ont signalé, au moins sur le territoire américain, leur volonté de désengagement. D'autres risquent fort de suivre l'exemple aux vues de leur vulnérabilité grandissante, conséquence mécanique de la baisse de l'immobilier (cf. le marché anglais). Autre dommage collatéral à signaler, celui de l'immobilier commercial, pour lequel une baisse de 20 à 30% du nombre des opérations était annoncée dès la fin décembre par les spécialistes du secteur (notons, au passage, une augmentation de la rentabilité des engagements ainsi qu'une amélioration des critère d'appréciation du risque...).
Augmentation du coût du crédit et diminution de la demande
dernier élément consécutif de la crise initiée par celle des subprime, la probable augmentation du coût du crédit est un fait établi (augmentation des taux qui, si elle semble avoir été démentie au cours du 1er mois de 2008 par des décisions politiques, s'inscrit cependant dans une tendance à plus long terme). Cette augmentation s'accompagnera, selon la plupart des commentateurs, d'une diminution de la demande de crédit, notamment immobilier, liée, d'une part, à l'attentisme des acheteurs et des vendeurs, puis au durcissement des conditions d'accès qui risque de produire un réel effet de renoncement chez nombre d'acquéreurs... Bref, des conditions d'accès de plus en plus difficile à un marché de plus en plus atone.

Les banques européennes ont visiblement à cœur de minimiser l'impact de la crise actuelle sur l'équilibre de leurs comptes. Pour l'avenir, alors que l'accent est volontiers mis sur la nécessité de l'entrée en fonction rapide des accords de Bâle 2 (garantissant encore plus de sécurité), force est de constater que le secteur américain des prêts s'adapte et se réforme également pour affronter les conséquences immédiates de la crise et prêter à l'avenir davantage d‘attention à la qualité de l'emprunteur (renforcement de leur cadre d'intervention). En France, cette relative quiétude des grands établissements semble toutefois reposer sur un modèle économique singulier, souvent évoqué dans ces colonnes, confirmé en novembre dernier par une étude de Moody's faisant état d'éléments objectifs en mesure d'expliquer un impact de la crise "dans des limites raisonnables" : capitalisations-record, diversifications (sectorielle, géographique, des réseaux) et tradition de banque universelle, représentent autant d'arguments en faveur de ce modèle caractéristique de la banque française.

Actualité en France

Le marché de la banque et du crédit en France présente toujours un tableau plus mesuré que partout ailleurs... Excepté la mésaventure de la Société Générale en janvier (dont nous nous ferons l'écho au travers de notre prochain éditorial), l'actualité du dernier trimestre 2007 semble préserver notre beau pays des effets de la crise des subprime autant que de la remonté tendancielle des taux. Aussi, tout au plus peut-on remarquer un léger phénomène de révolte de quelques-uns des rares emprunteurs à taux variables refusant d'assumer les dérapages de leurs mensualités.

Le front de cette mini-révolte concernait, pour l'essentiel, certains clients d'établissements fournisseurs des réseaux de courtage en crédits, GE MoneyBank en tête, dont le DG des financements immobiliers, François Kliber, déclarait début décembre que la "force (de GE) ce n'est pas le réseau c'est l'innovation". Faut-il y voir un signe de "la fin de l'eldorado pour les courtiers", comme le titrait un article des Echos d'octobre ? Après une année plutôt morose pour le marché du crédit, presque seulement "tracté" par le rachat de crédits (+11,90%) et la LOA (+12,70%), l'histoire ne serait pas nouvelle d'un marché, littéralement "inventé" à la marge, puis finalement "récupéré" par les grands réseaux, une fois ce marché parvenu à maturité. En parallèle, notons le déploiement de stratégies multicanal par de nombreux intervenants bancaires en vue de la souscription directe d'offres de crédits à la consommation de plus en plus dématérialisées, ainsi que la création d'une nouvelle offre dite "Crédit lift" pour aborder le marché des "nearprime" (prêts à la consommation ou revolving pour ménages aux revenus voisins de 1.200 € mensuels).

Occupation de niches, recherche innovante des besoins de clients jusque-là délaissés, meilleur suivi de la clientèle "fragilisée", la liste illustrant la recherche de nouvelles économies, ou de nouvelles marges, au sein des réseaux bancaires, se complète ce trimestre par l'annonce d'un renoncement à poursuivre l'ancien partenariat portant sur les contrats d'assurance emprunteurs qui liaient de grands assureurs (CNP, AGF, AXA) aux plus importants des établissements bancaires français (BNP, SG, CALYON, etc). La gestion de ces risques représente un gisement de marges auquel les banques ne semblent plus près de renoncer, d'autant que l'arrivée de nouveaux concurrents comme la Banque Postale sur le marché du crédit et le regroupement de certaines caisses locales laissent présumer un réel durcissement d'un marché domestique déjà passablement étroit et en constant rétrécissement.

Actualité en Europe et dans le Monde

C'est un schéma comparable au schéma français que présente l'ensemble des pays riches, celui d'une volonté d'amélioration globale de la sécurité et d'une plus grande exigence quant à la maîtrise des coûts, volonté bel et bien motivée par la crise du crédit en cours : faible progression du crédit, recherche d'une meilleure approche et maintien d'une grande diversification du risque, harmonisation de la réglementation européenne en matière de crédit à la consommation, volonté d'appliquer rapidement les accords de Bâle 2 sur la question des fonds propres des banques et d'une supervision supranationale des établissements, surveillance des bonnes pratiques en matière de cartes de crédit aux USA, mutualisation des coûts des réseaux de filiales sur une même zone (l'Europe pour AXA Bank Europe), volonté de la Commission Européenne d'une plus grande harmonisation dans le mode de calcul du TEG, en matière d'information de l'emprunteur, de responsabilité des prêteurs et de remboursement anticipé.

En parallèle, les aspirations du secteur au sein des économies moins évoluées traduisent, aujourd'hui, de manière évidente, une moins grande préoccupation quant au risque : fort développement constaté des crédits à la consommation et des crédits immobiliers en Europe du Sud, concentration des risques liés au crédit dans les pays émergents, esprit de conquête demeuré intact des établissements bancaires peu investis sur les titres de créance "douteux" américains (cf. stratégie outre-Rhin de la banque d'affaires italienne Mediobanca).

L'avenir, comme toujours, appartient aux audacieux ! Ainsi peut-être conclu ce tour d'horizon de l'actualité internationale d'un secteur bancaire et du crédit aujourd'hui fortement ralenti par les suites de la crise des subprime, mais demain probablement relancé dans un dynamisme retrouvé au travers de nouveaux ressorts. Malgré une situation de crise avérée, la contrainte, pour les intervenants d'un secteur bancaire perturbé, de ne cesser d'innover pour maintenir un haut niveau de réponse aux attentes, parait plus forte que jamais et la condition incontournable de leur survie.

Taux / Devises

En un trimestre et une crise majeure, les grandes tendances perçues en 2007 n'auront pourtant pas été contrariées : un Euro toujours aussi fort, s'imposant comme support de réserve "montant" pour l'ensemble des banques centrales ; un risque inflationniste, également toujours présent en cette fin d'année, aux USA comme en Chine (même s'il se verra contrarié, début 2008, par un risque d'entrée en récession de l'économie américaine) ; la Chine encore, qui n'a pas raté la énième édition, début novembre, de l'annonce de ses inquiétudes quant à l'éclatement d'une bulle sur ses marchés financiers. Au titre du manque de liquidité touchant la planète entière, le mal n'ayant par ailleurs épargné que bien peu d'économies, il n'aura logiquement pas oublié de toucher quelques banques russes en mal de fonds, obligées d'appeler la banque centrale à la rescousse... rien de bien original.

Aux USA, les taux n'ayant pas besoin d'être plus attractifs, leur progression marquait, fin décembre, une pause salutaire après quelques hausses notables (et avant la baisse de janvier, consécutive au plan de sauvetage de l'économie Américaine qui menaçait d'entrer en récession). Anticipant un risque d'inflation au Royaume-Uni, les cambistes ont par ailleurs contribué à une forte baisse, fin décembre, de la Livre Sterling, laquelle devrait pâtir d'une probable baisse des taux de la banque d'Angleterre.

Pour finir cet ultime chapitre signalons cette analyse de deux think-tanks européens notant la "complexité des marchés financiers" qui s'est développée en quelques années (en parallèle à une plus grande stabilité de ces mêmes marchés). Recommandant toujours plus de coordination des banques centrales à travers le monde, ainsi qu'une plus grande exigence envers les établissements, nos deux "réservoirs à pensées" n'ont naturellement pas manqué de souligner la nécessité de contraindre davantage les banques à porter leurs engagements plus longtemps, lesquels devraient correspondre de plus près à leur réelle solvabilité.


Achevé de rédiger le 31 janvier 2008


Jean Pellegrino - Rédacteur d'articles, de revues de presse et d'éditoriaux. Son ambition est de faire partager un point de vue synthétique et original sur l'actualité économique en général et du crédit ou du rachat de crédits en particulier, tout en insistant sur les enjeux liés à cette activité.


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